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Pérégrinations dans les méandres du Cinéma de Genre...


Alien, le huitième passager

Publié par Romain Raimbault sur 7 Mai 2017, 17:40pm

En 1979, Ridley Scott réalise brillamment le premier film de maison hantée se déroulant dans l'espace, ce dernier partageant bien plus avec La Maison du Diable de Robert Wise qu'avec n'importe quel autre essai de science-fiction mettant en scène des créatures visqueuses venant d'une autre planète. Nous parlons bien sûr ici du premier volet de la saga mettant en scène les xénomorphes les plus vicieux de l'histoire du cinéma et de la science-fiction, nés de l'esprit tordu de Dan O'Bannon et H.R. Giger: Alien, le huitième passager.

 

 

Est-il besoin de rappeler de quoi il retourne ? Pourquoi pas, histoire de nous mettre dans l'ambiance :

 

a) Compte-rendu de l'observation de la créature

 

Le vaisseau commercial Nostromo est sur le chemin du retour. Bientôt les sept membres de l'équipage seront enfin sur Terre après une mission aux confins de l'univers. Un signal de détresse vient perturber l'équipage plongé en hyper-sommeil... Il provient de la planète déserte LV-426. Leur sens moral et leur curiosité attisés, l'équipage décide d'engager une hypothétique mission de sauvetage. L'officier Kane, qui se lance dans l'exploration de l'inquiétant endroit est agressé par une forme de vie inconnue... Rapatrié à bord du vaisseau, l'équipage découvre avec effroi qu'une étrange créature arachnéenne est accrochée à son visage. Après plusieurs jours d'un étrange coma, l'hôte se détache et Kane se réveille enfin. Lors de son premier repas, il est pris de violentes convulsions, quelque chose perfore son abdomen et en jaillit ; la créature s'échappe dans un conduit d'aération. Le cauchemar commence...

 

b) Psychogénèse

 

Tout d'abord qui est H.R. Giger : il est né en 1940 à Coire, dans le canton de Grissons, en Suisse. Il grandit dans un univers très sombre, la maison dans laquelle il évolue n'est pourvue que de peu de fenêtres. La nuit, il est sans cesse, raconte-t-il, tourmenté par des cauchemars : ses visions horrifiques, il les couche sur le papier et ainsi peu prétendre à un peu de répit. Il décrit son art comme étant de ''l'auto-psychiatrie''. La naissance du biomécanique advient une nuit de 1970 : il fait un rêve terrifiant, malsain et oppressant : enfermé dans une salle de bains, la cuvette des toilettes s'ouvre devant lui, béante, comme pour l'engloutir. Le mobilier est pris de violentes secousses, les tuyaux qui jonchent les murs se changent en chair purulente recouverte de plaies sanglantes et pourrissantes. Le mur se fissure, derrière, des monstres semblent l'épier... Il se réveille alors qu'il tente de s'enfuir. C'est à partir de là que Giger se met sérieusement au dessin puis finalement à la peinture. Au-delà de l'aspect purement traumatique et horrifique du biomécanique, Giger précise :

 

'' Parfois les gens ne voient que le côté horrible et affreux de mes toiles. Je leur dis de les regarder une nouvelle fois, pour qu'ils puissent se rendre compte qu'il y a deux éléments dans mes peintures : des choses horribles mais aussi d'autres, plus belles. J'apprécie l'Art nouveau ; les lignes étirées et les courbes. Ces aspects sont très importants dans mon travail.''1

 

Thimothy Leary, célèbre psychologue de la contre-culture et ami de Giger le comparait volontiers aux grands gourous du surréalisme de William Blake à Jérôme Bosch en passant par Salvador Dali : selon lui l’œuvre de Giger décrit ''l'évolution ovoïde et spermique de la manière la plus frétillante qui soit''. Quant à Ridley Scott il le considère comme ''un artiste-ingénieur''. Le biomécanique confronte de manière violente et malsaine le métal et la chair, le sexe et la mort, la beauté hypnotique et la profanation, au cœur d'un travail architecturale colossale, d'une précision structurelle folle.

 

Giger arriva sur le projet Alien bien avant Ridley Scott, il travaille avec Dan O'Bannon, initiateur du projet, qui lui confia ses idées quant au redoutable organisme du film, des œufs à la deuxième puis la troisième phase de l'évolution de la créature. Le Nécronomicon de Giger (grand adepte naturellement de H.P. Lovecraft) est le livre d'art qui deviendra l'inspiration principale des éléments de l'Alien, Scott y piochera un grand nombre d'idées afin de constituer le bestiaire et l'environnement du film. La folie et la démesure de Giger qui fascine au plus haut point Scott lui font frôler de nombreuses fois l'expulsion définitive en même temps qu'elles le rendent indispensable au projet.

 

c) Autopsie de la créature

 

 

Contrairement à la chose prisonnière des glaces chez Carpenter, indéterminée car sans visage, sans forme, en constant devenir, l'Alien est profondément déterminé au sens où celui-ci a un visage ; de plus, il n'est pas question de transformations humaines, en cela l'Alien est une altérité radicale, elle est strictement à l'extérieur de l'homme, même si elle peut naître de ses entrailles. Malgré tout, Ridley Scott réussit brillamment à faire ressentir chez le spectateur cet effroi dû à l'indétermination de la physionomie de la créature que l'on contemple donc comme phénomène. Comment crée-t-il cela ?

 

Il ne montre jamais sa créature dans son ensemble de sorte que nous sommes incapables de remettre en ordre les pièces du puzzle terrifiant.

 

Il ne joue que sur des gros plans des parties de la créature sans qu'il nous soit possible de reconstituer le tout. Le monstre déborde constamment du cadre laissant une sorte d'abyme de hors-champ qui laisse le champ libre à notre imagination pour le pire. D'autre part, concernant le cadre, l'Alien n'apparaît à aucun moment dans le même que ses victimes sauf lors de plans serrés, les mises à mort, où sa seconde bouche explose violemment le crâne des membres de l'équipage. La seule exception qui confirme la règle est la scène du repas que nous narrions plus tôt : lorsque la créature perce l'abdomen de John Hurt et jaillit de ses entrailles, on peut découvrir la créature dans son entièreté mais ce n'est qu'un bébé et donc elle n'est pas encore constituée. Quand bien même les parties que nous donne à voir Ridley Scott nous permettraient de tenter de concevoir une physionomie, il (et grâce au travail de Giger) les pervertit de manière à ce que même ce qui semble connu, humanoïde ou animal, ne le soit pas vraiment : lorsque apparaît en plan serré la gueule du monstre, qu'il l'ouvre béante, une chose en sort qui semble être une seconde gueule... Malgré tout comme le note Kant à propos du sublime, il est impossible dans le cas présent pour ''l'imagination de comprendre en un tout de l'intuition l'appréhension progressive'' 2.

 

Nous citions tout à l'heure Robert Wise, et nous comparions Alien, le huitième passager à un film de maison hantée, il semble que Ridley Scott a opté pour une mise en scène très proche. Autre exemple, Les Innocents de Jack Clayton, ou pour revenir au film de monstre, Le Monstre est Vivant de Larry Cohen. Tous ces films et leurs réalisateurs ont en commun de préférer suggérer leur créature, de ne pas la montrer, de susciter l'attente du monstre ou de la menace fantomatique : pour récapituler, que ce soit dans The Thing de John Carpenter ou dans Alien, le huitième passager de Ridley Scott, l'attente presque démesurée suscitée par la mise en scène n'est jamais déçue car finalement, le monstre n'est jamais réellement montré dans son entièreté : à aucun moment le spectateur n'aura l'occasion de se dire face à la créature enfin montrée ''ce n'est que ça !'', elle ne deviendra jamais identifiable, déterminable. Dans les deux œuvres sur lesquelles nous venons de réfléchir, l'attente n'admet pas de visage et c'est pour cela qu'elle demeurera une attente, quitte même à frustrer le spectateur et cela n'est pas un mal car la frustration lorsqu'elle est intelligemment dosée est une part nécessaire de la peur.

L'Alien impose aussi d'un point de vue esthétique un élément complètement inédit et celui-ci dès lors ne cessera de hanter le cinéma qui s'applique à représenter l'altérité : le monstre est gluant. L'Alien a cette particularité d'être constamment humide, il suinte, sa peau est luisante car recouverte d'une sécrétion, n'est jamais sèche. Il est pareil à un embryon qui naît, enveloppé de liquide amniotique. Cet aspect visqueux apparaît comme une figuration particulièrement intéressante de l'indétermination : la sécrétion donne cette impression que la créature n'a pas atteint sa forme définitive.

 

d) Biogénèse

 

On distingue trois stades d'évolution distincts de la créature :

 

 

Le Facehugger (''l'agrippeur de visage'') est le stade larvaire de l'Alien. Il jaillit d’œufs de couleur noire verdâtre entreposés par centaine dans les entrailles du vaisseau fantôme échoué sur LV-4263. Le Facehugger ressemble vaguement à une araignée de couleur chair, avec huit pattes articulées, mais est aussi affublé d'une longue queue serpentiforme et d'une trompe en guise de bouche. Il se déplace rapidement ! Une fois émergé de son œuf, le Facehugger cherche un hôte et s'agrippe à son visage. Toutes tentatives pour le retirer seraient fatales, sa queue se resserrant autour du cou de la victime pour l'étrangler si nécessaire, de plus dans ses veines coule un acide extrêmement corrosif qui réprime toute envie de le blesser. Accroché sur l'hôte inconscient, le Facehugger utilise sa trompe pour l'alimenter en oxygène, le gardant ainsi en vie, et lui injecte un embryon dans le corps, le féconde (la symbolique du viol et de l'ensemencement de la victime est ici évidente, cependant, de cela, il sera question plus tard, dans une partie plus précisément consacrée à la monstruosité et à la sexualité). Une fois sa tâche accomplie, le Facehugger se détache de lui-même et meurt.

 

 

Le Chestburster (''L'exploseur de poitrine'') est le stade embryonnaire de l'Alien. Il est implanté à l'intérieur de son hôte par le Facehugger. Durant la première partie de son développement, le Chestburster demeure à l'intérieur de son hôte, où il se développe comme dans une sorte de cocon. La période de gestation est variable, en réalité sa durée n'est jamais vraiment précisée, ce que l'on peut dire c'est que durant cette phase, l'hôte semble indemne et ne montre pas de symptômes particuliers sinon un grand appétit. Soudain il est pris de violentes convulsions, et le Chestburster jaillit de ses entrailles en explosant son thorax avec sa tête, tuant l'hôte dans le procédé. Le Chestburster est de petite taille, avec un corps serpentiforme, une peau rosâtre et une tête allongée affublée d'une petite mâchoire, il est cependant dépourvu d'yeux. Durant la période de gestation, il arrive que l'ADN du Chestburster se mélange à celui de l'hôte, ainsi celui-ci peut parfois hériter de caractéristiques particulières propres à l'hôte, qui se retrouveront au stade adulte. Dans Alien 3 de David Fincher en 1992, la créature est quadrupède, car, selon les versions, elle s'extirpe soit du ventre d'un bovidé mort, soit de celui d'un chien, bien vivant celui-ci.

 

Après s'être échappé de son hôte, le Chestburster mue, il ne cesse de grandir à très grande vitesse, jusqu'à atteindre le stade adulte : l'Alien ou la créature que nous promet le titre du film de Ridley Scott et ces suites. Durant la mue, la créature remplace une partie de ses cellules par des molécules de silicium, lui donnant une carapace noire et un aspect presque biomécanique, l'esthétique Gigerienne. La forme traditionnelle, issue d'un hôte humain, possède une tête de forme oblongue et phallique dépourvue de nez, d'yeux et d'oreilles. À l'extrémité de la tête du xénomorphe, s'ouvre une bouche pleine de crocs acérés et métalliques (biomécanique), à l'intérieur de laquelle se trouve une langue en forme de trompe se terminant par une seconde bouche dotée des mêmes dents. Cette seconde bouche jaillit à une vitesse fulgurante et permet de frapper violemment ses victimes à la tête, fracassant de manière aisée leur crâne. Le corps de la créature est humanoïde : deux bras et deux jambes, des griffes acérées, quatre appendices en forme de tuyaux émergeant du dos et une longue queue se terminant par une pointe aiguisée. L'Alien apparaît plus fort, plus agile et plus rapide qu'un humain, se déplace avec une furtivité terrifiante. Comme dans les deux stades précédents, son sang est un puissant acide moléculaire, et il est capable de cracher un acide similaire en faible quantité pour perturber et aveugler l'ennemi. L'Alien produit une sorte de résidu semblable à de la bave, qui colle et se durcit avec le temps pour emprisonner ses victimes et les faire féconder par des Facehuggers (pondus par une reine que James Cameron nous présentera dans le second épisode de la saga Aliens en 1986). Les structures de ce qui ressemble à des ruches sont aussi d'aspect biomécanique, ainsi les Aliens peuvent facilement s'y camoufler. Dans Alien, le huitième passager, le Nostromo de même, possède cette structure, ce design biomécanique, ainsi la créature se fond à merveille dans le décor : les fonds de plan, le moindre petit mètre-carré enveloppé dans la pénombre, les tuyaux courant sur le murs des interminables couloirs mal éclairés du vaisseau peuvent à chaque instant dissimuler la créature ; d'ailleurs ce sont ces tuyaux qui, l'espace d'un instant, nous terrifient, ne rappellent-ils pas curieusement le crâne du monstre ?4

 

Pour en revenir à l'esthétique du visqueux, il y a donc trois phases bien définis d'évolution de la créature, cependant le fait qu'elle demeure humide comme recouverte de liquide amniotique donne une impression d’inachèvement (pour reprendre une terminologie aristotélicienne), elle semble toujours en mutation, tendre vers un nouveau stade indéterminé, presque comme la chose de Bottin et Carpenter, en ne considérant que le premier film on peut imaginer une transformation continue, une absence de fin formelle (notons que les trois phases que nous connaissons maintenant sont esthétiquement très éloignées, radicalement différentes, on ne peut déduire de l'une la suivante). D'un point de vue technique, il est intéressant de noter que le latex, dès lors qu'il a une apparence mouillée, humide, ne semble plus être du latex. En conjuguant les deux principes que nous venons d'évoquer à savoir : les parties déterminées d'un tout indéterminé et l'esthétique du visqueux, l'Alien devient alors profondément indéterminé. Notons au passage que le monstre n'apparaît jamais en train de marcher ou de courir car cela supposerait un plan large qui ferait découvrir sa physionomie et donc il deviendrait immédiatement déterminé : les plans qui pourraient en dévoiler un peu trop sont fugaces et ténébreux de sorte que la réponse à l'énigme de sa forme reste sans réponse. Le monstre est une matière et non une forme, le latex humide et donc luisant nous révèle sa présence au cœur des décors biomécaniques, tandis que sa forme demeure cachée, totalement inconnue. Il y a là aussi excès de matière et absence presque totale de forme.

1Ian Nathan, Alien, Genèse d'un mythe, 2011, p.84

2Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, § 26 (Ak.V, p. 255).

3H.R. Giger, provocateur, avait d'abord envisagé l'ouverture des œufs en forme de croix chrétienne, ce que la production refusa catégoriquement. Puis il opta pour une forme vaginale vraisemblablement trop grotesque pour Ridley Scott qui éclata de rire face à la proposition de l'artiste. Finalement Scott se décide pour une ouverture des œufs ''en forme de fleur'' fonctionnant grâce à un ingénieux système de presse hydraulique.

4La saga Alien impose une structure scénaristique en quatre temps. En plus du schéma classique en trois temps soit : mise en place puis confrontation et enfin résolution, le scénario de Dan O'Bannon et Walter Hill en ajoute un quatrième innatendu puisque tout semble terminer et pourtant... Ainsi Ripley (Sigourney Weaver), ayant détruit le Nostromo, a pris la fuite dans la capsule de sauvetage et s'apprête à se replonger en hyper-sommeil. Elle se déshabille : cette séquence est extrêmement importante car elle met en scène pour la première fois un corps dont on peut déterminer le sexe sans aucune ambiguïté, elle s'oppose ainsi radicalement à tout ce qui précède de l'équipage asexué du Nostromo à l'ambiguïté sexuelle dérangeante suscité par la physionimie l'Alien pour Scott ''il'' est hermaphrodite. Dénudée (la symbolique de l'agression sexuelle est ici plus puissante que jamais), Ripley entend soudain un bruit étrange, face à elle un tuyau métallique... En y regardant de plus près, celui-ci semble s'animer : tout à coup une patte griffue surgit ! La créature est avec elle... Notons que Scott avance que l'Alien, comme le papillon a une espérance de vie limitée qui lui permet simplement de se reproduire (quatre jours tout au plus), dans la navette, il n'attaque pas tout de suite Ripley, Scott suppose que la créature a trouver un recoin dans les entrailles de la navette où elle envisage de rester pour mourir en paix.

Romain Raimbault

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