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Pérégrinations dans les méandres du Cinéma de Genre...


Horreur et Amoralité Partie I

Publié par Romain Raimbault sur 17 Juin 2017, 14:22pm

 

Introduction

 

    Tout d'abord, cher lecteur, j'aimerais revenir, si tu le veux bien, sur quelques points, quelques caractéristiques propres au cinéma d'horreur. J'emprunterai pour cela certains arguments ma foi très pertinents à Éric Dufour, arguments qu'il expose et détaille dans son ouvrage Le cinéma d'horreur et ses figures, pour tenter d'offrir des contours un tant soi peu plus précis à un genre qui souvent souffre de nombreux amalgames et notamment avec le cinéma fantastique.

 

    Contrairement à ce que certains spécialistes ont pu avancer, le cinéma d'horreur n'est en aucune façon un récit d'initiation. J.-B. Thoret explique à ce sujet que :

 

''les films d'horreur à la manière des contes de fée auxquels ils empruntent d'ailleurs des schèmes narratifs, sont des récits d'initiation narrant de manière frontale ou symbolique des transitions psychologiques telles que le passage de l'enfance à l'adolescence, la découverte de la sexualité...''

 

... mais cette lecture sort quelque peu de la question esthétique et n'est pas réellement pertinente au sens où le cinéma d'horreur est par excellence un genre qui fait du surplace tant dans sa narration que dans l'évolution de ses protagonistes.

 

 

De plus ce type d'analyse conférerait au cinéma d'horreur une dimension moralisatrice très réductrice. L'ersatz le plus célèbre du chef-d'œuvre de John Carpenter, Halloween, sorti en 1978 (œuvre matricielle qui a brillamment fixé les bases et codes du slasher américain) n'est autre que le non moins célèbre Vendredi 13 de Sean S. Cunningham sorti en 1980 ; il est un de ces nombreux exemples qui, soumis au prisme d'une lecture psychologisante, a subi des critiques relativement assassines lui reprochant un discours moralisateur propre à exciter n'importe quelle bigotte en mal de légitimité : des adolescents en pleine poussée d'hormones se réunissent dans un centre de vacances abandonné et se font massacrer de manières diverses et variées, un par un, par un tueur mystérieux. Certains y superposent donc la lecture suivante (parodiée dans Scream de Wes Craven en 1996) ''la virginité est un rempart contre le mal'', code que nous pourrions autrement intitulé ''Death by Sex'' puisque seule l'héroïne, vierge, en réchappe : une lecture somme toute propre à flatter le puritanisme le plus nauséabond, mais il n'en est rien. Il s'agit tout simplement d'une convention arbitraire mise en place par John Carpenter dans Halloween deux années plus tôt, qui n'émet aucun jugement de valeur mais jalonne le genre. Au plus, au lieu d'y voir l'expression de la révolution conservatrice contre la révolution sexuelle, nous pourrions parfaitement prendre le problème à l'inverse : chez Carpenter, Mickael Myers, est une instance purement abstraite, il est une absence de personnage, une idée. Il est un concept : Carpenter introduit le Mal à distance, il est une silhouette omnisciente, omnipotente d'où la dimension profondément structuraliste de son cinéma. Dès lors, Mickael se fait l'allégorie de l'oppression sociale pesant sur une bourgeoisie gangrenée, détruisant au sens propre ses pauvres jeunes représentantes. Le tueur n'apporte donc pas le châtiment à ses ouailles ayant commis le péché de luxure mais se fait l'incarnation de la société rejetant en bloc les évolutions et la libération des mœurs.

 

    Ceci étant dit, le cinéma d'horreur, contrairement à tout autre genre, n'est avant tout nullement affaire de moralité ou même d'immoralité, il se pose ailleurs comme l'explique Éric Dufour, il n'est ni moral, ni immoral : il est amoral, hors de la morale, extra-moral !

 

Mais allons plus loin : Machiavel dans le Prince pose ainsi, comme qualité fondamentale du Prince, qu'il doit pouvoir être ''non buono'' que nous pouvons traduire tout simplement de la manière suivante : non bon. Mais, par non bon nous n'entendons pas mauvais mais non moral. De même non moral ne signifie pas immorale mais amorale. En ce sens donc qu'il doit pouvoir être au-dessus de la morale ordinaire. C'est donc grâce au fait qu'il doit pouvoir être au-dessus de toute morale qu'il peut exercer au mieux son rôle politique :

 

''...d'où il suit, comme je l'ai dit, qu'un prince qui veut se maintenir est souvent obligé de n'être pas bon ; car lorsque la classe de sujets dont il croit avoir besoin, soit peuple, soit soldats, soit grands, est corrompue, il faut à tout prix la satisfaire pour ne l'avoir point contre soi ; et alors les bonnes actions nuisent plutôt qu'elles ne servent.''1

 

Cette extrapolation au domaine philosophique et politique qui pourrait paraître artificielle l'est en définitive bien moins qu'il n'y paraît, elle confère au cinéma d'horreur son discours éminemment subversif et donc politique, bien plus pertinent parfois que nombre de films qui se réclament appartenir légitimement à ce registre à grand renfort de tirades didactiques embarrassantes. Nous pourrions citer, si tu n'y vois pas d'inconvénient, par exemple, dans le répertoire des œuvres horrifiques polémiques et politiques Dawn Of The Dead de Georges Romero sorti en 1978, The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper en 1973 ou New-York 1997 de John Carpenter en 1983 (ce dernier se situant quelque part entre l'horreur, l'action et la science-fiction)...

 

    Donc le film d'horreur est amoral au sens où il ne répond pas aux critères de la morale ordinaire, et ce, à plus forte raison, parce qu'il est le genre esthétique par excellence ; abstraction faite d'un quelconque contenu moral, il ne fait que mettre en scène des faits, sans toujours leur donner de raisons, de justifications, ce qui aura pour conséquences, des accusations et condamnations immédiates, pléthore de critiques tombant à bras raccourcis sur les potentiels ravages d'une violence trop graphique, trop démonstrative, dite ''gratuite'', de par le fait qu'elle montre trop, là où finalement la monstration n'est pas nécessairement un mal :

 

n'est-ce pas justement dans la ''gratuité'' de l'acte, dans son absence de justifications rationnelles, que réside l'horreur véritable ?

 

alors que, même la monstration la plus crue comporte toujours une part de suggestion nécessaire même dans les œuvres gores les plus explicites.

 

 

Chez Dario Argento le meurtre est élevé au rang d'art parce qu'il n'est justement soumis à aucun critère moral : il est un moment purement esthétique. Dans le cas de Profundo Rosso (1975), de Suspiria (1977) et de Tenebrae (1983) (ce dernier étant l'excroissance paroxysmique du cinéma d'Argento), les films sont entièrement construits autour des monstrueuses scènes de meurtres, à tel point que, celles-ci constituent en elles-mêmes des petits films totalement indépendants. Le film et sa narration en deviennent presque anecdotiques, d'un point de vue formel, si on le compare aux mises en scène proprement hallucinantes des meurtres : l'intrigue générale est un prétexte aux meurtres. Le cinéma d'horreur est donc un cinéma d'images pures, de mise en scène ; d'une certaine manière il est ce qu'est la quintessence du cinéma c'est-à-dire une histoire racontée par des images en mouvement : c'est L'arrivée du train en gare de la Ciotat des Frères Lumières qui suscita la terreur pure, une image en mouvement qu'on eût cru être la réalité. Nul besoin de dialogues à rallonge, tout peut être dit par les images et la mise en scène.

 

    On pourrait également, cher lecteur, reprocher au cinéma d'horreur son manque d'originalité scénaristique et sa propension à pomper jusqu'à la moelle des codes galvaudés, de céder à la facilité de la redite, de la suite, du remake. Mais, sans dire bien sûr que le cinéma d'horreur ne compte que des chefs-d'œuvre dans ses rangs, loin de là, la redite et la suite sont dans l'essence même de l'horreur. Parce qu'il s'agit d'un genre, et d'un ensemble de sous-genres (slasher, survival,...) ultra codés, l'horreur fonctionne nécessairement sur la redite, la réutilisation quasi-systématique de situations, l'objectif étant de transcender ses codes (tout comme le fantastique d'ailleurs et l'ensemble du cinéma de genre).

 

Prenons l'exemple simple du survival (l’œuvre matricielle du genre étant le génial Délivrance de John Boorman en 1972), qui narre les péripéties de citadins, bloqués dans des contrées totalement inhospitalières, et aux prises avec des rednecks psychopathes ou des créatures vicieuses bien décidés à leur faire vivre un calvaire. Le héros va devoir retourner à l'état de nature (pour utiliser une terminologie hobbesienne2), puiser en lui une force animale voire bestiale, pour survivre et vaincre la menace. On pourrait ainsi résumer un grand nombre survivals de Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper (1973), à Wrong Turn de Rob Schmitt (2001), en passant par le Prédator de John McTiernan (1986).

 

Un autre exemple : le film de zombie dont les codes ont été fixés par Georges Romero avec The Night of The Living-Dead en 1969 : le monde est envahi par les morts qui dévorent les vivants ; un groupe de survivants se barricade dans un bâtiment et tente de survivre. Nous avons à faire à des scénarii types. Mais, ce qui importe dans le cinéma d'horreur, ce n'est pas de savoir ce qui va se passer, mais comment cela va se passer.

 

Dans un slasher, l'initié sait que la moitié, voire les trois quart du casting, vont y passer, l'originalité et le suspense consistent dans la manière dont chacun va se faire occire. Prenons l'exemple d'une petite série B eighties, Intruder de Scott Spiegel, qui raconte tout simplement la dernière nuit sanglante que va passer le personnel d'une grande surface la veille de son licenciement ; dans les couloirs sévit un tueur particulièrement sadique prêt à leur faire vivre un véritable cauchemar : crochet de boucher dans la tête, tête broyée sous une presse hydraulique, ou coupée en deux par une trancheuse à jambon... Comme chez Argento, c'est le suspense qui précède les meurtres et les meurtres en tant que tels qui font le film. Le respect des codes du genre, si l'on a à faire à une œuvre qui se veut classique, respectueuse, référentielle crée l'intérêt de l'adepte ; la transgression voire la transcendance de ces codes et la mise en scène font l'originalité.

 

    Pour terminer, et comme le souligne Éric Dufour, le cinéma d'horreur n'a pas de fin : il n'a ni terme, ni but. Le croque-mitaine qu'on croyait mort disparaît lorsque les premières notes du générique retentissent prêt à perpétrer de nouveaux méfaits sanglants. Il n'y a jamais de résolution et le film ne tend vers aucun but. La situation initiale est quasi la même que la situation finale. Le cinéma d'horreur refuse la téléologie : ainsi les rescapés du centre commercial de Zombie fuient mais l'armée des morts ne cesse pas sa marche, l'invasion continue. Enfermé dans un hôpital psychiatrique, Norman Bates sourit aux spectateurs, les traits cadavériques de sa mère apparaissent : elle/il reviendra... La peur ne cesse pas, bien au contraire, elle est en devenir. La peur est toujours la peur de quelque chose qui va m'arriver comme le pose Wittgenstein et non de quelque chose qui m'arrive. C'est lorsque l'objet de la peur apparaît, s'actualise, qu'il cesse de faire peur ; c'est l'objet de la peur en puissance qui suscite la peur. En d'autres termes l'appréhension est la somme de toutes les peurs. Wittgenstein dans ses investigations philosophiques écrit :

 

''476 – Il y a lieu de distinguer entre l'objet de la crainte et les causes de la crainte.

C'est ainsi que le visage qui nous inspire de la crainte ou du ravissement (l'objet de la crainte, du ravissement) n'est pas pour autant leur cause, mais, pourrait-on dire, leur orientation.''3

 

Ainsi la crainte, la peur, n'est pas celle d'un objet, elle ne relève finalement pas de ce qui est, au sens d'un objet définitivement actualisé, mais de ce qui sera, qui certes se dessine dans le présent, mais demeure tout du long une attente sans objet. C'est ce que Wittgenstein nomme orientation, elle apparaît dans le présent, nous montre une direction qui suscite la peur sans pour autant en révéler le but ultime qui, si il apparaît, annihile définitivement toute crainte. Le futur apparaît comme menaçant parce qu'il n'est jamais dévoilé totalement. La peur consiste à ce titre en des idées (Gedanken), tout comme l'espoir tel que Wittgenstein le définit, et ne se voit pas ; elle se remarque (bemerken), au sens où celle-ci est affaire de subjectivité et se vit par procuration, à la loupe d'une subjectivité incarnée par le protagoniste, de longues séquences d'angoisse placées sous le signe de l'attente d'un futur, d'un danger imminent, d'une forme d'horizon tellement proche et en même tellement éloigné, vers lequel nous tendons, car nous sommes mis sur sa piste dans le présent, mais qui ne cesse d'être un futur terriblement indéterminé.

 

Au final, ce qui fait la différence fondamentale entre le cinéma d'horreur et son très proche cousin le cinéma fantastique, c'est que la cinéma d'horreur a pour parti pris de suspendre l'action au profit d'une situation bloquée qui sera la même du début à la fin. Le cinéma d'horreur, au même titre que le cauchemar, se répète, fait du surplace : les personnages certes s'agitent, agissent mais c'est peine perdue, ils demeurent prisonniers de cette situation.

 

Le cinéma fantastique voit la plupart du temps une évolution des protagonistes (un parcours initiatique par exemple) qui permettra de transformer la situation initiale. Là où le cinéma fantastique est une narration, on ne peut pas vraiment considérer qu'il en est de même pour le cinéma d'horreur pur qui, certes décrit une situation, mais ne fait au final que l'exploiter, l'approfondir. Ainsi les protagonistes vont explorer de fond en comble la situation pour tenter de s'en sortir, mais ils ne pourront que découvrir au terme de leur périple (qui n'en est pas vraiment un) qu'ils ne pourront pas s'en sortir.

 

 

Dans The Descent de Neil Marshall (plagiat éhonté du Predator de John McTiernan, mais vrai survival tendu du début à la fin), un groupe d'amies adeptes de spéléologie se trouve confrontées à des créatures vicieuses et anthropophages terrées dans les profondeurs d'une grotte souterraine inexplorée ; une seule d'entre elles réussit à rejoindre la surface, mais lorsque lui apparaît le fantôme d'une de ses amies, elle se réveille en sursaut... Elle rêvait. A la suite d'une chute qu'elle fit quelques minutes plus tôt, elle avait perdu connaissance : elle est toujours prisonnière de la grotte qui deviendra, on le suppose, son tombeau... Générique.

 

A Suivre...

 

Romain Raimbault

 

1Nicolas Machiavel (1515) Le Prince et autres textes, Les classiques des sciences sociales, 1972, p.46.

2Rappelons que Hobbes dans son ouvrage Léviathan soutient la thèse suivante : précédant la politique, il y a ce qu'il appelle l'état de nature. L'état de nature est régi par la loi du plus fort, et donc chacun est en danger permanent, chacun doit tenter de survivre tant bien que mal dans cette jungle impitoyable. La politique apparaît donc comme une nécessité pour pouvoir garantir la survie de chacun et celle-ci passe par deux instances qui fondent nécessairement la politique : la sécurité et la propriété. Il est donc, pour résumer, nécessaire de sortir de l'état de nature et ce par la politique qui permet la survie de l'individu. Dans le cas du survival comme nous le décrivions il est intéressant de noter que l'on assiste à un renversement du schéma hobbesien : le protagoniste doit pour survivre renoncer à son être politique et se replonger dans l'état de nature. Dans Délivrance et ses successeurs, la réminiscence de l'état de nature est nécessaire à la survie de l'individu.

3Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques, 1953, p.264

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