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Pérégrinations dans les méandres du Cinéma de Genre...


Horreur et Amoralité Partie II

Publié par Romain Raimbault sur 23 Juin 2017, 10:48am

(Attention, cet article contient quelques spoilers... Donc, si vous ne souhaitez pas vous en manger méchamment dans la gueule, passez votre chemin... ou plutôt, allez immédiatement mater The Human Centiped de Tom Six, J'ai rencontré le diable de Kim Jee-woon et Old Boy de Park Chan-wook et revenez donc traîner en ces contrés !

Tendresse...)

 

    Revenons maintenant à la question de l'amoralité, que nous évoquions plus tôt, que nous considérions comme étant l'une des caractéristiques fondamentales du cinéma d'horreur, il serait intéressant de s'attarder sur un métrage extrême et peu ragoûtant : attelons-nous donc, si tu le veux bien, à une œuvre pour le moins particulière, qui témoigne d'ailleurs de toutes les caractéristiques que nous avons pu recenser au sujet du cinéma d'horreur, et les pousse dans leurs ultimes retranchements. C'est à un modèle d'amoralité abject que nous nous intéresserons ici, un effort tordu et malsain inédit dont la crétinerie abyssale du concept n'a d'égal que le traitement radical et étonnamment réfléchi de celui-ci. Nous voulons bien sûr parler de l'immonde ovni du réalisateur néerlandais Tom Six, The Human centiped sorti en 2009.

 

 

    Il est tout d'abord amusant de noter l'anecdote qui donna naissance au film, anecdote hautement improbable tout comme le projet qui la suivit. Soit une soirée bien arrosée entre amis s'achevant tardivement devant la télévision. Un reportage sur une affaire de pédophilie, et Tom Six de proclamer : ''si on faisait cela à ma fille, je coudrais la bouche de son agresseur à l'anus d'un gros camionneur'' ; et ses amis tout aussi éméchés de répondre : ''cette idée est géniale, tu devrais en faire un film !''. C'est de cette discussion complètement absurde que naît la chose, projet qui va se poursuivre par un mensonge éhonté à tous les producteurs, convaincus de soutenir un film d'horreur à vocation internationale. Dès lors, les premières projections en festival lui ont assuré une réputation de film culte ; interdit dans la quasi-totalité des pays dans lequel il devait se vendre, il est devenu, en quelque mois, une sorte de Graal pour cinéphages déviants adeptes de délires gores extrêmes ! Trey Park et Matt Stone, les créateurs dégénérés et géniaux de la série South Park, achèvent définitivement d'asseoir la popularité et la curiosité que suscite The Human Centiped en lui consacrant le premier épisode de sa quinzième saison, intitulé, The Human Centipad. Mais de quoi s'agit-il justement ?

 

 

    The Human Centiped part d'un canevas de survival ultra galvaudé : deux jeunes femmes tombent en panne au beau milieu de la campagne allemande. Elles trouvent refuge chez le Docteur Heiter, néo-nazi, ancien chirurgien et savant fou de son état, qui les séquestre pour en faire les cobayes de l'expérience chirurgicale ultime : créer le mille-patte humain en cousant trois personnes, bouche à anus pour ne faire plus qu'un seul tube digestif.

 

 

    La force de cette variation scatologique sur le mythe du savant fou, en plus de proposer le concept le plus surréaliste du monde, est de ne reposer que sur cette seule idée, un unique concept de base, en se refusant à toute explication, à une quelconque justification : le film est donc, en ce sens, totalement amoral dans sa gratuité absolue et, là réside toute sa puissance. Tom Six joue sur sa première demi-heure assez brillamment sur l'appréhension que suscite un tel concept, à l'image de cette scène extrêmement anxiogène où notre chirurgien sérieusement atteint décrit à ses trois cobayes (les deux jeunes femmes et un touriste japonais), à l'aide de petits dessins explicatifs, les tenants et les aboutissants de l'intervention ; dès lors on comprend assez aisément, comme nous avons pu à de nombreuses reprises l'écrire, que l'appréhension est la somme de toutes les peurs. De plus, décrire pareille idée tordue avec un tel sérieux, alors qu'elle pourrait au contraire susciter l'hilarité, crée immédiatement un décalage évident qui ne manque pas de renforcer le malaise. Dans un second temps, il vrille son approche, et nous dévoile de manière frontale, le monstre né de l'opération (ce qui esthétiquement tient de la prouesse vous en conviendrez), de manière à gommer au choix l'horreur ou le ridicule de la situation, pour mieux instaurer un sentiment de compassion en même temps que du dégoût chez le spectateur. Il nous décrit ensuite la longue série d'humiliations que va subir la créature totalement déshumanisée puisque incapable de s'exprimer (le segment de tête, le jeune japonais, seul à pouvoir s'exprimer, ne sait parler que dans sa langue qui, pour autrui n'est qu'un flot d'aboiements). Cette partie questionne, de manière inattendue, certes pas toujours très fine, mais en tout cas bien plus intelligente et perverse que nous aurions pu l'imaginer à la seule lecture du synopsis, la relation du maître et de l'esclave, cher à des auteurs comme Pier Paolo Pasolini ou Fernando Arabal. C'est ce second pan du récit qui apparaît comme le plus terrifiant et le plus dérangeant, poussant à une compassion surprenante pour le monstre, sans que le ridicule de la situation ne prenne jamais le dessus, demeure constamment sur le fil tendu du grotesque. Le climax, cruellement ironique, voit le concept même du film irrésolu : l'expérience est irréversible. Le docteur Heiter est mort abattu par la police, la créature livrée à elle-même sans son maître. Deux des trois segments du monstre ont déjà expiré leur dernier souffle. La jeune femme, le segment central est encore en vie, on imagine dès lors que son calvaire ne fait que commencer... Générique.

 

Pourtant, à la vision de l'objet tant convoité, les amateurs d'horreur ne furent pas sans évoquer une déception, le film ne sombrant jamais dans le délire gore, préférant jouer habilement sur la notion de hors-champ, quand bien même certaines séquences apparaissent profondément écœurantes. En témoigne la scène de la joue infectée purulente ou encore le passage tant redoutée de la défécation qui, bien loin de sombrer dans des débordements scatologiques, jouent habilement, tout en sobriété, le jeu de la suggestion. A noter que le second opus The Human Centiped 2 en 2011, se pose, au même titre que Eaten Alive de Tobe Hooper en 1977 par rapport à son The Texas Chainsaw Massacre en 1974, comme un métrage négatif, au sens d'antithétique, s'opposant terme à terme à son aîné : alors que le premier volet est coloré mais épuré, stérilisé, le second prend le parti du noir et blanc sale et se déroule dans un sous-sol de parking désaffecté ; tandis que le premier nous présentait un véritable chirurgien, grand, sec, le second met en scène un fanatique du premier film, gardien de parking débile, petit, gros, portant des lunettes ; l'un jouait sur la suggestion, le hors-champ, le second fonctionne sur la surenchère d'effets et de sévices en gros plan de préférence, certes vomitifs mais finalement peu choquants. The Human Centiped nous narrait le calvaire de 3 personnes, sa suite celui de 12. Enfin l'original clamait sur son affiche le slogan suivant : ''100% medically accurate'' (selon la légende, Tom Six se serait réellement renseigné auprès de véritables chirurgiens qui lui auraient confirmé la plausibilité et décrit le déroulement d'une pareille opération) ; la séquelle déclare le contraire : ''100% medically inaccurate''.

 

 

    J'aimerais manitenant sortir de l'horreur à proprement parler : intéressons-nous au revenge movie. Genre souvent sujet à la polémique, car narrant les péripéties d'individus prêts à tout pour faire subir les pires tourments à ceux qui ont détruit leur vie, décimé leurs proches. Des métrages qui dérangent donc, eu égard à un propos toujours à la limite, jouant sur l'ambiguïté de leur message, mais qui, pour la plupart, s'inscrivent, non dans un discours idéologique propre à défendre la loi du Talion et la justice sauvage, mais dans une démarche souvent amorale, voire parfois même morale. Les exemples sont extrêmement nombreux, du mythique Vigilante de William Lustig, au jouissif mais funèbre Death Sentence de James Wan, mais ici, nous aimerions nous attarder sur un exemple pouvant se ranger sous plusieurs étiquettes, y compris l'horreur d'ailleurs, et narrant le combat revanchard et ultra-violent de deux véritables monstres, le tétanisant et jubilatoire J'ai rencontré le diable du coréen Kim Jee-woon, sorte d'aboutissement ultime du revenge movie dont l'amoralité et le nihilisme absolu de son récit convient parfaitement à ce que nous souhaitons démontrer.

 

 

    Un jeune homme des services secrets coréen, dont la femme enceinte a été massacrée par un tueur en série monstrueux, jure sur sa tombe de le faire souffrir mille fois plus encore qu'elle n'a souffert. Il se lance alors à la poursuite de l'assassin... mais voilà, le métrage dure plus de deux heures, et au bout d'une demi-heure, notre héros a déjà attrapé et passé à tabac le diable. Il lui murmure que tout cela n'est pas fini, le soigne, avant de le laisser inconscient. Sa vengeance ne fait que commencer. Le diable n'est peut-être pas celui qu'on croit...

 

 

    J'ai rencontré le diable en réalité fait donc référence aux deux personnages, chacun rencontrant celui qui incarne à ses yeux Satan : le tueur en série, révélé frontalement, dès les premières images, découpant en morceau la femme du héros ; le jeune homme venu punir le bourreau qui se retrouve finalement en Enfer, confronté à pire monstre que lui, qui va lui faire subir mille tourments et sévices... Jusqu'à ce qu'à la moitié du film, Kim Jee-woon décide de renverser la vapeur, et le tueur de reprendre le dessus pour châtier à son tour celui ayant décidé de s'en prendre à lui. La description de la violence est mécanique et ludique, quand bien même le final rompt l'ambiguïté pour afficher un certain point de vue moral, soit l'absurdité de la vengeance qui mène son héros à sa perte : le film est avant tout une cruelle marche funèbre. Comme chez Dario Argento, auquel il fait d'ailleurs très ouvertement référence lors d'une séquence mémorable, la violence, aussi extrême soit-elle, est un pur moment esthétique voire dans certains cas ludique. Comme chez Dario Argento, chaque séquence est un morceau de bravoure de mise en scène, un instant maniériste qui choque en même temps qu'il subjugue. Les scènes de violence, les nombreux face à face entres le deux monstres, sont autant de prouesses jubilatoires autour desquelles se construit la narration, tout comme les séquences de meurtres chez Argento étaient des métrages à part entière, se suffisant à eux-même, mais dont le prétexte était toute l'histoire échafaudée autour. C'est finalement cette amoralité qui pose question, met mal à l'aise, dans la mesure où, comme dans The Human Centiped, l'horreur nous est jetée ainsi, avec ou sans fioriture, mais surtout sans aucun jugement de la part du commanditaire, c'est à nous de nous positionner, personne ne nous prend la main, ne nous guide, les choses sont donner ainsi, à nous de nous en débrouiller. Gêne décuplée par le fait que ce que nous voyons à l'écran peut nous paraître beau d'un point de vue purement esthétique, mais comment peut-on trouver le meurtre beau, la violence extrême réjouissante artistiquement parlant. Cette position occupée par le spectateur confrontée à une violence non seulement vide de tout contenu moral mais aussi belle, en tant que celle-ci reçoit un traitement visuel qui peut susciter un sentiment esthétique, est difficilement tenable, difficile de savoir sur quel pied danser perdu quelque part entre beauté et dégoût, fascination et répulsion.

 

 

    C'est exactement le même genre de sensation que l'on peut ressentir à la vision d'un autre polar coréen : le magistral Old Boy de Park Chan-wook. La scène de torture dentaire est un pur moment esthétique, la bande-originale accompagnant cette séquence n'est autre que l'Hiver des Quatre Saisons de Antonio Vivaldi, œuvre musicale somptueuse qui accentue la puissance esthétique du moment, lui faisant atteindre des sommets de maniérisme malgré l'ultra-violence s'exprimant à l'écran. Le final d'Old Boy lui aussi est profondément amoral en ce sens qu'il s'achève sur une happy end qui n'en est pas une : Oh Dae-su ayant découvert que conditionné par l'hypnose, il avait été amené à tomber amoureux de sa fille, et à avoir des rapports sexuels avec elle, il décide par l'hypnose de nouveau d'oublier cette révélation afin de vivre sans subir la souffrance insupportable de l’inceste. Sa fille le rejoint, tous les deux s'enlacent, elle lui murmure : ''Je t'aime, Oh Dae-su''. Générique. Tout cela est éminemment malsain et pourtant ce n'en est pas pour autant immoral, mais amoral, une histoire sombre et cruelle nous est racontée, mais le réalisateur ne nous convie pas à adopter un point de vue, il cherche à nous choquer bien sûr, mais ne fait pas l'apologie de l'inceste, tout comme Kim Jee-woon ne prône pas la loi du Talion, ou Dario Argento le meurtre.

 

Romain Raimbault

 

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